Imaginez Kreator avec plus de mélodies, des synthés atmosphériques, une voix purement black (hurlée, criarde et aigüe, au lieu d'être simplement éructée et quasi-parlée comme dans les groupes de thrash des années 80) et une batterie proche de Mayhem sur Deathcrush: voilà Anno Domini de Tormentor, premier album de ce groupe hongrois sorti en 1988.
Le rythme est infernal, presque constamment rapide tout le long de l'album, avec ce type de blastbeat typiquement thrashy où l'auditeur a l'impression d'entendre un double coup de grosse caisse à chaque mesure - exactement le même type de blastbeat que Manheim emploie sur Deathcrush. La proximité avec Mayhem ne s'arrête pas là: même si le style de Tormentor est plus mélodieux et comporte plus d'influences heavy, les deux groupes jouent à la fin des années 80 - malgré la distance géographique - un metal extrême issu du thrash mais distinct du death, qui donne concrètement naissance à la seconde vague BM, caractérisée par le tremolo picking et les accords mineurs.
Ce n'est donc pas du tout étonnant qu'Attila Csihar ait rejoint Mayhem par la suite (Euronymous est d'ailleurs remercié dans le livret). Cependant, son chant sur Anno Domini diffère considérablement de De Mysteriis Dom. Sathanas (souvent critiqué pour ses parties vocales). Il chante de façon black traditionnelle, avec un accent d'Europe de l'Est non-dépourvu de charme, quelques variations de registre, et beaucoup d'effets qui rendent vraiment bien: réverbération, écho, déformations bizarres pour souligner ses ricanements maléfiques... On retrouve la même cruauté que dans les vocaux de Deathcrush.
"Elisabeth Bathory" ralentit le tempo et permet justement de déceler l'influence des Suédois de Bathory. On peut même percevoir une influence rock presque jazzy sur les intros de "Transylvania" et de "Beyond". Les débuts de Satyricon (je pense à la démo All Evil et au split avec Enslaved) doivent beaucoup à Tormentor à mon avis.
Bref, c'est un album indispensable, une pierre d'angle de la seconde vague black metal.